5 Voyage dans le temps et théorie de la connaissance. Le voyage est-il pensable? Un nouveau paradoxe. Les penseurs qui ne pensent pas ce qu'ils pensent. L'esprit humain est entièrement bâti sur le principe de non contradiction. Quelque chose de contradictoire est au sens le plus strict du terme impensable. Il est pourtant possible d'émettre des idées contradictoires, grâce à une conception confuse qui empêche de prendre conscience de la contradiction. Mais la contradiction elle même est impensable. Si j'ai raison d'affirmer que le voyage dans le temps est autocontradictoire - et ce "si" est purement rhétorique puisque je viens d'en donner plus de démonstrations qu'il n'en faut- alors ceux là même qui évoquent le voyage dans le temps, qu'ils soient auteurs de fiction ou scientifiques, doivent dans le même temps en refuser l'idée, la nier dans le mouvement même par le quel ils l'affirment. Et c'est bien, effectivement, ce que l'on constate de mille façons. Commençons par la fiction. Je puiserai mes exemples dans la bande dessinée Superman de l'époque Terre I, parce qu' avec le nombre d'épisodes comportant un voyage dans le temps,  Superman par C. Swan © DC | | on y trouve tout ce qu'on veut. Mais il n'en est pas un seul qu'on ne puisse pas retrouver aussi bien dans des oeuvres cinématographiques ou littéraires que dans d'autres bandes dessinées. Une terrible catastrophe va se produire dans exactement une heure, à moins que Superman n'aille chercher dans le futur quelque chose qui lui permettra de l'empêcher. D'accord. Or voilà que dans le futur, il se livre à une palpitante course contre la montre pour réussir sa mission dans l'heure impartie et n'y parvient qu'in extremis. Pourquoi n'a-t-il pas pris tout son temps? Il aurait pu profiter du voyage pour faire un peu de tourisme avant de remplir sa mission, y consacrer deux heures, quinze jours... Il lui suffisait de choisir la destination de son retour comme antérieure au moment de la catastrophe. Il pouvait même revenir avant son départ. Sans même s'en rendre compte, le scénariste considère l'avenir comme un ailleurs dans l'espace et croit que le temps continue de tourner pendant que Superman est "là bas". Par ailleurs, ceci ne vaut pas que pour les missions qui ont lieu dans le futur. Comme tous les héros Superman est presque toujours confronté au double challenge d'accomplir un exploit et de le faire dans un délai imparti, "avant qu'il ne soit trop tard". Il ne réussit généralement que d'extrême justesse. Il aime bien se casser la tête. Il lui suffirait tout simplement de commencer par revenir un peu en arrière dans le passé et il aurait tout le temps de régler le problème tranquillement. D'autre part, combien de fois l'avons-nous vu se torturer pour préserver le secret de son identité parce qu'il devait apparaître quelque part en même temps en temps que Clark Kent et que Superman et combiner des stratagèmes délirants que le moindre détail serait susceptible de faire rater, alors qu'il lui suffirait de faire un saut au moment en question depuis l'avenir ou depuis le passé pour être effectivement présent en double exemplaire. Ni les lecteurs, ni les scénaristes n'y songent parce qu'encore une fois, ils considèrent les voyages dans le temps de Superman comme de vrais voyages, dans l'espace et non réellement dans le temps. Une autre illustration en est donnée par l'épisode ou des éléments du passé sont précipités dans le présent ou l'avenir et vice versa. Superman et Flash finissent par éliminer la cause du problème et, "à cet instant" Jimmy Olsen qui s'était retrouvé au XVème siècle revient au présent. Il était temps, on allait lui couper la tête. Ni l'auteur ni les lecteurs ne réalisent que "A cet instant" n'a aucun sens, de toute évidence personne n'a réellement cessé de considérer que les mésaventures de Jimmy se déroulaient en même temps que l'exploit de Superman dans un endroit appelé le XVème siècle et non dans le passé. A plusieurs reprises, Superman a évité un désastre avec l'aide de la Légion des super-héros ou de quelque autre âme charitable venue du futur. Pourquoi la légion empêche-t-elle certaines catastrophes et pas d'autres? Pourquoi empêcher l'assassinat du président actuel et pas celui de Kennedy ou de Lincoln? Pourquoi sauver la Terre et pas la planète Krypton dont Superman ne manque jamais une occasion de pleurer la perte tragique? Pourquoi ne pas retourner dans le passé et organiser l'évacuation du peuple de Superman avant l'explosion de la planète? La réponse est simple. Krypton a déjà explosé. Cela fait partie du passé. D'ailleurs les scénaristes de Superman le répètent, on ne peut pas changer l'Histoire. Un épisode met même en scène Superman ou plutôt Superboy, encore jeune n'ayant pas bien assimilé l'ontologie du voyage dans le temps, qui s'efforce, en vain bien entendu, de sauver Lincoln. La Légion n'intervient donc que pour empêcher des événements qui ne sont pas encore arrivés. Mais "pas encore" par rapport à qui? Par rapport au lecteur et à l'auteur. Certainement pas par rapport à la Légion pour qui tous ces événements, ceux qu'elle choisi d'empêcher parce qu'ils ne sont pas encore arrivés comme ceux aux quels elle se résigne, sont de l'histoire ancienne. Supposons que vous disposiez de la machine à voyager dans le temps, allez vous partir empêcher Ravaillac d'assassiner Henri IV, vite, avant qu'il ne soit trop tard, mais renoncer à éviter l'assassinat de Jules César, parce que c'est impossible puisque César est déjà mort? Une fois encore le scénariste, et tous les lecteurs avec lui, continuent de considérer le passé comme irrévocable alors même qu'ils croient avoir accepté l'idée du voyage dans le temps. Les héros capables de voyager dans le temps ne devrait redouter aucun échec, aucun désastre, du moment qu'ils y survivent. On efface tout et on recommence, jusqu'à ce qu'on réussisse. Mais ils n'envisagent jamais cette solution. Lorsque Superman a tué involontairement ses parents en leur offrant un voyage au cours du quel ils ont contracté une maladie incurable, il a tenté l'impossible, tout essayé pour les sauver, mais il ne lui est pas venu à l'idée, ni avant ni après leur décès, de revenir en arrière pour s'avertir lui même de ce qui allait se produire et se conseiller de renoncer à ce voyage. C'est d'autant plus fort que le site du voyage en question était l'année 1717, chez Barbe Noire. A d'innombrables reprises des concours de circonstances dans le présent ou dans l'avenir ont amené Superboy à aller dans le futur prêter main forte à la légion des super-héros ou celle ci à se rendre dans le présent pour lui donner un coup de main. La deuxième fois que Superboy part dans le futur, il n'y a aucune raison pour que la date de destination à la quelle il est amené à se rendre soit postérieure à la date à la quelle il était arrivé la première fois ni antérieure à celle à la quelle il se rendra la troisième fois. Il n'y a donc aucune raison que la première fois que Superboy rencontrera un membre de la légion, disons Brainiac 5 par exemple, soit également la première fois que Brainiac 5 rencontrera Superboy. L'un pourrait se souvenir d'une rencontre qui pour l'autre n'a pas encore eu lieu. Pourtant cette possibilité qui serait la plus simple et la plus naturelle n'est jamais venu à l'idée de quiconque. Il y a un isomorphisme parfait entre les dates de départ et les dates d'arrivée. La 47ème fois que A rencontre B est, forcément, la 47ème fois que B rencontre A et personne ne s'émerveille de cette fantastique et fort opportune somme de coïncidences. Parce que, une fois encore, personne n'imagine réellement que ces rencontres ont lieu à travers le temps. |