Le déchiffrement des langues inconnues

Les plus anciennes formes d'écritures datent de bien plus de cinq mille ans. D'innombrables alphabets, des myriades de systèmes hiéroglyphiques ont été utilisés de par le monde, au cours des âges. Beaucoup sont encore, et à jamais, indéchiffrés. La recherche dans ce domaine a connu deux grands triomphes, celui de Champollion qui rendit la parole aux pharaons et celui de Ventris qui perça le secret des anciens crétois.

Champollion a commencé à se pencher sur les hiéroglyphes égyptiens en 1806. Il en a résolu le mystère en 1822, grâce entre autres, à LA PIERRE DE ROSETTE. Cette tablette fut découverte par hasard par un officier français, en 1799 au cours de la campagne d'Egypte napoléonienne. Un décret de Ptolémée V y fut gravé en 196 avant JC dans trois écritures, grecque, démotique et égyptienne.

LE LINEAIRE B a été décrypté par Ventris en 1952, grâce à une hypothèse audacieuse. Il a, tout d'abord, supposé, qu'il ne s'agissait pas d'une écriture idéographique, comme chez les égyptiens, où chaque signe désigne une chose mais d'une écriture phonétique, dont chaque signe représente un son. Cela ne nous avancerait guère si l'on s'en tenait là, car la langue parlée des crétois nous est inconnue, mais Ventris a imaginé par ailleurs que la langue transcrite par cette écriture n'était pas celle des crétois mais de leurs envahisseurs grecs. Il a ainsi reconstitué, "au pif", quelques premiers mots et le fait qu'en donnant aux signes qui les constituaient la même prononciation dans leurs autres occurrences on constituait d'autres mots lui a permis à la fois de confirmer son hypothèse et de trouver la prononciation des autres signes. La langue crétoise proprement dite était transcrite, elle, par le linéaire A, qui était phonétique aussi, car il partage bon nombre de signe avec le linéaire B, mais qui restera, fort probablement, à jamais indéchiffrable.

On pourrait croire que le problème posé par une langue inconnue est plus simple que ceux des CODES SECRETS. Après tout, la première a été conçue pour se faire comprendre et les seconds pour empêcher de se faire comprendre. Il n'en est rien. Il n'existe pas de code indéchiffrable, même si les plus sophistiqués exigent pour rendre les armes, des années de travail de spécialistes armés de super-ordinateurs réservés à l'armée. A l'inverse, lorsque, durant la seconde guerre mondiale, les américains eurent l'idée d'utiliser des messagers navajos pour transmettre des messages en clair... mais dans leur langue, les allemands ne purent jamais "décoder" ces missives. C'est logique. N'oublions pas que l'auteur d'un message codé, si il redoute d'être entendu par un autre que son destinataire, souhaite tout autant être compris de ce dernier. Et comme créer et apprendre une langue tout exprès constituerait un effort disproportionné le message après moultes opérations finira tout de même par être transcrit dans une langue connue de l'auteur, du destinataire... et de leurs ennemis. Il n'en va pas de même avec les langues perdues, qui par définition, ne sont plus comprises par personne.

A la lumière de ce qui précède, on pourrait penser que si l'on captait un jour un hypothétique message extra-terrestre , celui ci serait définitivement impossible à interpréter. La question n'est pas entièrement spéculative, des astronomes du monde entier recherchent dans les ondes radio des étoiles un éventuel message. Leur discipline est appelée SETI, (search of extra terrestrial intelligence). On envisage, inversement, d'envoyer un jour de tels messages, au petit bonheur, même si, pour l'instant, la technologie connue n'offre pas d'émetteur assez puissant. En fait, comprendre de tels messages, ou les rédiger pour qu'ils soient compris, est, en théorie, assez facile. Le truc est de commencer par envoyer quelque chose de facile à comprendre. Comme la série des premiers nombres entiers, un, deux, trois... puis, par exemple, des additions avec leurs résultats etc. Beaucoup de choses peuvent être décrites par des nombres. Les éléments naturels par la fréquence de leur rayonnement spectral etc. Cette aisance inattendue vient de ce que l'auteur était au courant de ce que son lecteur ne parlerait pas sa langue et en a tenu compte. Cette facilité est néanmoins théorique. Un jour un de ces spécialistes s'est amusé à rédiger un petit message ultra simple et "destiné à être compris par tout le monde" et il l'a soumis à ses collègues en pensant qu'ils en viendraient à bout en cinq minutes. Aucun n'y a rien compris. Pourtant c'étaient, comme lui, des créatures faites de carbone et d'acides nucléiques, mieux des êtres humains, mieux des citoyens de son pays, vivant à son époque, et ayant fait les mêmes études que lui. Est-il bien certain qu' un extra-terrestre aurait fait mieux?

Revenons sur terre. Les rares fois où une écriture inconnue a effectivement pu être décodé, on disposait d'un indice pour faciliter le travail. La traduction d'un texte dans une langue connue, grâce à la pierre de Rosette, dans le cas de Champollion. La langue orale des auteurs, dans le cas de Ventris. Mais supposons que l'on n'ait rien. Juste un ou plusieurs textes et absolument rien d'autre. Et écartons l'hypothèse, fort peu crédible, que les auteurs aient tenu compte, comme nos experts SETI, de l'ignorance de ceux qui les liraient des millénaires plus tard. Y aurait il un espoir, un tout petit espoir, qu'à force de travail, d'un gigantesque travail, on finisse par trouver la lumière? La réponse est non. A cause de ce que les linguistes désignent pompeusement comme l'arbitraire du signifiant, cette constatation, évidante, qu'aucun lien logique ne lie les mots à leur signification. La période quotidienne durant là quelle le soleil est visible pourrait très bien s'appeler "nuit" et celle où il ne l'est pas s'appeler "jour". Imaginons un jeu constitué de deux séries de cartes, les unes portant des dessins, les autres des mots, et qu'il faut assembler deux à deux. Vous avez tiré le dessin d'une roue, si le jeu utilise la langue française, c'est facile, il vous suffit de chercher la carte portant le mot "roue". Si c'est du chinois, c'est un peu plus compliqué, il va falloir un dictionnaire. Mais si les mots et les lettres ont été inventés par le créateur du jeu, comment reconnaître la carte du mot "roue"? Ca peut être absolument n'importe la quelle. Vous pouvez bien avoir un ordinateur géant et un millier de savants disposés à consacrer leur vie au problème, vous ne serez pas plus avancé. Le créateur du jeu a pu décider n'importe quoi. Il en va de même des peuples anciens. Ils ont pu décider n'importe quoi.

ET POURTANT, à condition de disposer d'un vraiment très grand nombre de textes, ou d'un texte vraiment très long, il y aurait bien un moyen. Le quel? Et quelle est la faille dans le raisonement du paragraphe précédent? Vous trouverez la réponse dans mon roman, Le onzième manuscrit.


Page et texte © G. Courtial, reproduction interdite. Illustrations le disque de Phaistos (linéaire A, non décrypté); Champollion par Coignet Musée du Louvre. .